Foires et champs de foire

          Au début du XIXème siècle, malgré l'implantation de la Fonderie, Ruelle est restée une commune rurale. Les conseillers municipaux sont des propriétaires terriens (à cette époque, seuls les plus riches votent et sont éligibles) dont les préoccupations principales concernent les activités liées à l'agriculture. L'établissement de foires aux bestiaux les intéresse donc et peut permettre l'enrichissement de la commune.

Création des foires

          En février 1837, le conseil, parmi plusieurs propositions, a choisi comme champ de foire, un terrain appartenant à Jean Gaillard, situé sur la route menant du Maine Gagnaud aux Seguins, à gauche, tenant d'un côté à la maison d'Antoine Robert et au jardin de Jean Gaillard, et au bout de la terre de Dumousseau (vraisemblablement une zone occupée maintenant par la voie ferrée). Jean Gaillard se réserve le droit de faire ramasser l'"engrais" dans le champ, après les foires ; le bail, gratuit, est passé pour douze ans et sera résilié de plein droit si "les foires venaient à ne pas prendre". Avoir un champ de foire est nécessaire, encore faut-il obtenir des autorités le droit de tenir une foire ! Et pour cela faut-il proposer une date qui soit acceptée par les communes situées dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres ! Aucune foire n'existe le 4 du mois dans les environs, mais ce jour-là des marchands de bétail passent et même couchent à Ruelle, en se rendant à la foire de Jarnac du 5 ; en effet, le 2, certains sont à la foire des Pins, le 3, à celle de Vitrac, puis le 5 à Jarnac et éventuellement, le 6 à Montignac. C'est ainsi que, le 27 mars 1837, le conseil justifie sa demande de foire et sa proposition de date que le préfet doit soumettre aux communes environnantes.

          Un an plus tard, dans la séance du 11 mars 1838, le maire communique une lettre du préfet qui semble manquer d'enthousiasme ; le conseil reprend les arguments déjà évoqués, ajoute les atouts liés à l'importance de Ruelle (la Fonderie, les autres usines), à la proximité de communes possédant aussi des entreprises industrielles. Si 12 foires annuelles ne sont pas envisageables, Ruelle en accepterait 6 (du 4 mars au 4 août) voire seulement 2 (4 avril et 4 mai) pour montrer que c'est une demande correspondant au besoin ; et le conseil ajoute même "comme il plaira au ministre d'accorder".

          Les premières foires se sont tenues en 1839 ; l'ordonnance royale qui les crée, datée du 15 mai 1838, en accorde deux, le 4 avril et le 4 mai. Mais les membres du conseil font observer "qu'ils reconnaissent plus que jamais l'avantage pour la commune d'avoir plusieurs foires dans l'année, c'est-à-dire une foire le 4 de chaque mois, au lieu de 2 par an" ; "attendu qu'elles ont été tellement bonnes", qu'il y a eu beaucoup de bétail, "d'étrangers", que la commune est sur une route importante, ils demandent donc 12 foires annuelles.

 

Le nouveau champ de foire et la réglementation des foires

          En 1842, la nouvelle route de Limoges (l'actuelle avenue Président Wilson) est mise en service, aussi la municipalité va-t-elle utiliser l'ancienne (rue Jean-Maurice Poitevin) comme champ de foire.

 

Le maire publie alors, un arrêté qui réglemente les foires afin d'en assurer la sécurité.

art.1 : Les foires instituées par une ordonnance royale du 15 mai 1838 auront lieu à Ruelle le 4 de chaque mois.

art.2 : Le champ de foire destiné à la vente des bestiaux se tiendra pour les bœufs sur l'ancienne grande route à partir du village du Pont de Ruelle jusqu'à la nouvelle grande route (en allant vers l'est), pour les chevaux au carrefour dudit village, pour les cochons et les moutons sur le chemin qui conduit au bourg.

art.3 : Les marchands qui voudraient séjourner dans la commune devront en arrivant déposer leur passeport à la mairie.

art.4 : Les faiseurs de tours, escamoteurs, les chanteurs publics, les musiciens ambulants seront tenus avant d'exercer de se munir d'une permission de l'autorité.

art.5 : Les jeux de hasard sont expressément défendus.

art.6 : Toutes injures et manifestations contraires au bon ordre seront immédiatement réprimées.

art.7 : Le garde champêtre de la commune est chargé de l'exécution du présent arrêté, et les jours de foire, remplira les fonctions de commissaire de police.

art.8 : Tous contrevenants au présent arrêté seront poursuivis et punis conformément aux lois et règlements de police.

art.9 : Le présent arrêté sera affiché et publié au son de caisse dans toute la commune afin que personne ne puisse en ignorer.

 

Le tout après avoir reçu l'approbation de M. Le Préfet conformément à l'article 11 de la loi du 18 juillet 1837.

A la mairie de Ruelle le 20 février 1843 ; signé le maire Guénard

(L'accusé de réception du préfet est daté du 3 mars donc applicable à partir du 3 avril 1843).

 

          Mais en septembre 1848, le préfet demande si l'ancienne grande route doit être classée comme route départementale ou chemin vicinal de 5m de large. Embarrassé, le conseil qui tient à conserver son champ de foire gratuit, répond à côté de la question : il déclare qu'elle ne peut pas être supprimée car elle donne accès à des terres qui dans ce cas seraient enclavées, qu'il existe des maisons qui empêchent la réduction de largeur, qu'elle sert de champ de foire et de lieu de réunion pour la garde nationale, en conséquence "elle n'a pas d'autre destination que celle qu'elle a". L'affaire en reste là ; l'année suivante, le préfet décide de la classer en chemin vicinal, sans numéro.

 

          Le champ de foire doit aussi être défendu contre les empiètements des riverains. A cet effet, le maire prend un arrêté en avril 1850 :

art.1 : Il est interdit de curer les fossés de chaque côté du champ de foire de la maison Rivaud (ancien Terminus devenu La Cour de Ruelle) jusqu'à la nouvelle grande route (au dessus des écoles), étant les fossés de l'ancienne grande route et n'appartenant pas aux propriétaires riverains.

art.2 : Il est défendu de planter ni haies ni arbres sur les bords desdits fossés sans préalablement avoir reçu de l'autorité un alignement.

art.3 : lorsque le maire jugera pour l'utilité du champ de foire après avoir pris l'avis du conseil que les fossés devront être comblés, il le fera faire aux frais de la commune en laissant de chaque côté un petit fossé de 33cm de largeur sur 33cm de profondeur pour écouler les eaux.

art.4 : Il est défendu de rien déposer sur le champ de foire sans préalablement en avoir obtenu l'autorisation…

 

          Le champ de foire devenant trop petit, pour gagner un peu de place et éviter des accidents, il est décidé de combler les fossés dès février 1852, et surtout envisagé de l'agrandir.

 

Agrandissement du champ de foire et nouvelles foires

          La superficie du champ de foire étant devenu insuffisante pour placer convenablement le bétail de plus en plus nombreux, le conseil décide de l'augmenter en affermant pour 5 ans et 60 francs par an, deux pièces de terre (36 ares) à compter du 1er janvier 1853 ; l'une est la possession de François Rivaud, marchand, et la seconde appartient à Catafort, boulanger. Selon le contrat de location, la commune n'est pas responsable des dégâts faits par les bestiaux, et les propriétaires se réservent le droit d'ébrancher et de ramasser "l'engrais" laissé par les animaux. Ces deux pièces sont bordées par la route du Bourg et l'ancienne route de Limoges.

          Le bail est renouvelé et le dynamisme des foires ne se dément pas ; n'aurait-on pas dénombré, à la foire du 4 février 1862, 2000 boeufs, 400 moutons et autant de cochons ? Aussi, en 1866, suite à des changements de propriétaires (succession…), la municipalité décide d'acheter aux frères Rivaud et à Marsat, les deux parcelles louées depuis 13 années (voir la photocopie de la promesse de vente, avec timbres fiscaux du Second Empire). Avec les frais, il en coûtera 4250 francs à la commune. Cet achat correspond à peu près à l'actuel Champ de Mars.

 

En mars 1868, un nouvel arrêté du maire essaie de résoudre les problèmes de places, de circulation et de stationnement particulièrement aigus les jours de foire :

art.1 : Les jours de foire les bœufs seront placés dans l'intérieur du champ de foire et ne pourront stationner sur le chemin n°27 (route du pont au bourg), ni sur la route impériale 141 aux abords du champ de foire.

art.2 : Les marchands forains, étalagistes, bouchers devront se placer sur la route impériale 141 à partir du chemin d'intérêt commun n°27 en remontant vers la fonderie mais ne se placeront pas sur les 2 ponts.

art.3 : Leur étalage ne pourra prendre une largeur de plus de 2,25m. Entre les 2 ponts le bord du trottoir leur servira de limite de manière à ne pas entraver la libre circulation.

art.4 : Aucune voiture ou charrette ne devra être disposée dans les rues, ni dans le champ de foire, sauf celles qui servent à l'étalage des marchands.

 

          Cette intense activité justifie les demandes de la municipalité pour obtenir de nouvelles foires. Ainsi, en mai 1875, elle souhaite, en plus de celle du 4, trois nouvelles foires, des foires grasses, les 20 décembre, 20 janvier et 20 février ; celles-ci concernent plutôt les boeufs destinés à la boucherie, alors qu'à la foire du 4, se négocient également les bêtes utilisées pour les travaux agricoles. En août, suite à cette demande, le préfet informe le maire que la commune n'est autorisée actuellement que pour deux foires, par décision du 25 mai 1838. En février 1862 le conseil s'est étonné que les foires n'apparaissent qu'au nombre de deux dans l'annuaire de la Charente, mais personne n'a donné suite. Les services de la préfecture ont-ils égaré la demande de 1839 ? Le maire, emporté par l'enthousiasme de la réussite des deux premières foires, en 1839, n'a-t-il pas joint une demande officielle au procès-verbal de la réunion du conseil ? Voilà 35 ans que la commune tient sa foire mensuelle du 4 dans la plus inconsciente illégalité ! On s'empresse de demander la régularisation et l'autorisation de seulement deux foires grasses, les 20 janvier et 20 février. Celles-ci ont été accordées parce qu'en novembre 1879, il est précisé que les foires mensuelles et les foires grasses auront lieu les jours prévus sans tenir compte des dimanches et jours de fêtes. En février 1885, deux foires grasses supplémentaires sont demandées, le 20 mars et 20 décembre ; (elles sont autorisées puisqu'on les trouve mentionnées dans une délibération d'août 1892).

 

Promesse de vente des frères Rivaud, datée du 30 mars 1866
Promesse de vente des frères Rivaud, datée du 30 mars 1866

Le champ de foire aux bœufs est-il une place publique ou une place communale particulière ?

          Dès 1877 l'agrandissement du champ de foire est souhaité et on envisage de prendre contact avec les riverains (Tardieu, Petit, Charbonnaud) ; le projet revient en 1886, mais c'est l'époque de la construction des écoles et de la mairie (inauguration au début de l'été 1887) et il est préférable de ménager les finances de la commune. En août 1888, le conseil décide d'acheter les terrains attenant au champ de foire et situés devant les constructions communales (mairie, écoles), d'autant qu'une pétition réclame l'ouverture d'une rue reliant le champ de foire et ces nouvelles constructions.

          En 1894, commence un épisode digne de Clochemerle et qui ne trouve sa conclusion financière que dix ans plus tard : il s'agit de la demande d'alignement présentée par François Charbonnaud pour construire le long du champ de foire. Pour l'agent voyer (département), c'est au maire de donner l'alignement car le terrain ne se trouve pas sur une voie classée.

          En novembre 1894, Antoine Pontaillier, conseiller municipal, a été chargé par le maire de rechercher si le champ de foire dépend du domaine public communal ou du domaine particulier communal, mais il n'a rien trouvé : la délibération du 11 février 1866 pour l'acquisition des parcelles Rivaud et Marsat ne précise pas que le champ de foire sera une place publique et l'acquisition a été faite à l'amiable comme pour un terrain privé. C'est donc au conseil municipal de se prononcer ; aussi dans sa séance de février 1895 fait-il le tour des arguments : si le champ de foire était place publique il devrait être entretenu comme les rues or il n'appartient pas à la voirie et un caniveau avec trottoir a été réalisé sur un des côtés pour empêcher l'accès des voitures (à traction animale !). Il ne peut pas y avoir un droit de passage comme le prétend Charbonnaud car les parcelles des riverains sont en contrebas de 70cm par rapport au champ de foire et entre les deux existait un profond fossé aujourd'hui presque comblé; l'accès se faisait par le chemin du bourg et si Charbonnaud se dit enclavé, c'est parce qu'il a vendu la partie du terrain en bordure du chemin… Pontaillier propose qu'une voie de 5m de large, dans la continuité du chemin longeant l'école de filles, soit établie latéralement aux propriétés voisines, en bordure du champ de foire. Pour réduire l'étranglement existant, l'arrondi sera recoupé selon une ligne allant du coin du logement de la directrice à la barrière de chez Herbaud (voir plan) ; on offre de payer le terrain 1f le m² à Charbonnaud et il aura le passage sur une voie de 5 m, en bordure de l'alignement.

          Charbonnaud refuse la proposition de prix qu'il juge insuffisante, et il écrit au ministre de l'Intérieur. Comme il assiste à la séance du conseil du 10 juillet 1895, il est pris à partie par les conseillers qui, mécontents, confirment les décisions prises, décident de faire dresser le plan de l'alignement, de faire clôturer par un "gervis" (treillage de lattes de bois assemblées par du fil de fer) la partie du champ de foire comprise entre les terrains achetés pour les écoles et la bascule publique [1] ; le "gervis" pourra être enlevé pour le passage des récoltes et des charrettes sans constituer un droit de passage.

          François Charbonnaud, Pierre Arrondeau et Jean Tardieu protestent contre la pose du gervis, mais le conseil de septembre 1895 reprend les considérations sur l'accès, la propriété du fossé, la dénivellation, rappelle que le champ de foire n'est pas une place publique et accuse les riverains de vouloir convertir leurs terrains ruraux en terrains à bâtir. Il persiste dans sa décision d'établir une voie le long de l'alignement projeté et maintient sa proposition de prix. Seulement, l'affaire a été portée devant le juge de paix.

          En mai 1896, est élu un nouveau conseil municipal où la majorité a changé mais qui reprend le projet puisque le nouveau maire, Pontaillier, a déjà travaillé sur le dossier. En juin, le commissaire enquêteur trouve que les 600f offerts entre temps à Charbonnaud sont en dessous de la valeur réelle du terrain ; mais Charbonnaud père et fils ne veulent pas proposer de prix et demandent le remboursement des frais de justice suite à leur condamnation par le juge de paix du 2ème canton. Le conseil presse le préfet d'approuver le projet et de classer le chemin en voie urbaine, d'autant que Charbonnaud a fait appel de sa condamnation.

En décembre, se déroule l'enquête en vue de l'expropriation, qui insiste sur la nécessité d'ouvrir une voie publique entre l'école de filles et le chemin du bourg.

 

[1] Cf infra

 

          En appel, début 1897, Charbonnaud obtient un droit de passage pour sa parcelle enclavée. Mais l'expropriation pour l'établissement de la voie publique urbaine a été prononcée par jugement du 18 janvier 1897 ; il faut donc fixer les indemnités à offrir à Jean Tardieu, Pierre Arrondeau et François Charbonnaud. Le conseil, toujours animé de rancoeur, décide de surseoir jusqu'à la dernière limite permise par la loi (3 mois après la notification du préfet) ; pour lui le champ de foire est une propriété privée affectée à l'usage du public à certains moments. A la réunion de juillet 1897, un vif débat s'engage montrant la rivalité entre les membres de l'ancien conseil qui a initié le projet et ne suivent plus, et les nouveaux conseillers. Finalement une majorité se prononce pour l'ajournement du projet et renonce à l'expropriation. En octobre le conseil ne souhaite pas régler le problème, la majorité affirme s'en tenir aux décisions antérieures ; mais à côté des rivalités qui divisent le conseil, on en voit transparaître d'autres, plus personnelles, liées à l'envie, à la jalousie, car certains conseillers reprochent à Charbonnaud d'avoir gagné beaucoup d'argent en vendant les terrains pour construire la mairie et les écoles.

          Le 12 décembre 1897, le conseil est convoqué en séance extraordinaire spécialement pour régler l'affaire des indemnités. Un courrier du préfet rappelle les grands points : le champ de foire est considéré comme une propriété privée de la commune dont l'usage ne devient public que les jours de foire et par conséquent n'est pas assujetti aux servitudes de voierie ; mais il a été créé une voie nouvelle le long du champ de foire dont les alignements ont été fixés par arrêté préfectoral du 9 sept.1896 ; les travaux ont été déclarés d'utilité publique par décret préfectoral du 7 novembre 1896 et la commune est devenue propriétaire des terrains destinés à la voie publique par jugement du tribunal civil d'Angoulême. C'était sans compter avec la mauvaise volonté des conseillers dont la majorité ne s'est pas présentée ; le quorum n'étant pas atteint, le conseil ne peut délibérer. Il s'ensuit une deuxième convocation en session extraordinaire le 22 décembre ; le conseil maintient qu'il ne peut donner suite à l'expropriation, indique que l'établissement d'une rue obligerait à déplacer la bascule publique (on n'y a pas pensé auparavant !), déclare la place publique et autorise le maire à donner les alignements. En janvier 1898, une lettre du préfet rappelle que le jugement d'expropriation est définitif.

          En novembre 1898 un courrier de Charbonnaud demande d'une part l'enlèvement du "gervis" en bordure du champ de foire, et d'autre part le règlement des problèmes de bornes et de fossé en limite de propriété ; le conseil charge le maire de s'en occuper. Il faut attendre décembre 1904 pour que réapparaissent les indemnités à verser, indemnités que le conseil trouve évidemment exagérées. Enfin le 5 juin 1905, le conseil se décide à les voter : le montant s'élève au total à 1892 francs.

 

Sur ce plan, élaboré pour le projet de passerelle de Relette, apparaissent les différents champs de foire ; le champ de foire des bœufs est surdimensionné.
Sur ce plan, élaboré pour le projet de passerelle de Relette, apparaissent les différents champs de foire ; le champ de foire des bœufs est surdimensionné.

Le champ de foire aux porcs et le champ de foire aux moutons

          Un accident (sans autre précision) s'étant produit à la foire du 4 avril 1853, le conseil décide que le marché aux cochons et aux moutons qui se tient sur le chemin du bourg depuis 1843, devant l'auberge du sieur Herbaud (emplacement du centre culturel), sera transporté au bourg, sur la place publique.

          La place devenant trop exiguë, en février 1861, on décide de déplacer le champ de foire des cochons au communal de la Croix rompue (place des Ormeaux). Mais en 1874, les travaux du chemin d'intérêt commun n°27 étant terminés dans le bourg, on s'aperçoit que "la petite place devant le presbytère et servant de champ de foire aux porcs" se trouve en contrebas et est régulièrement inondée quand il pleut ; il a donc fallu la remblayer.

          En juin 1891, le champ de foire aux porcs a failli déménager une nouvelle fois ; on envisage de le transférer dans le haut de l'ancienne route de Limoges, au dessus des écoles, dès que la route reliant le champ de foire aux bœufs et la nationale 141 sera mise en circulation. Tétaud, conseiller municipal, s'y oppose en raison de la proximité défavorable pour les écoles et surtout parce qu'on enlève la seule activité importante qui se tient près du bourg ; aussi, dans sa réunion du 25 juillet le conseil revient-il sur sa décision et laisse le champ de foire aux porcs à la Croix rompue.

 

Le champ de foire des porcs. Derrière les arbres, le bâtiment avec le porche est le presbytère (de 1846 à 1907) ; après avoir servi pour loger des instituteurs, des réfugiés… il est vendu en 1923.
Le champ de foire des porcs. Derrière les arbres, le bâtiment avec le porche est le presbytère (de 1846 à 1907) ; après avoir servi pour loger des instituteurs, des réfugiés… il est vendu en 1923.

 

          Pour agrandir ce champ de foire, en novembre 1893, Pontaillier propose une rectification du chemin vicinal n°5 (allant du Bourg à Vaugeline en passant près du cimetière) qui décrit une courbe au niveau de la place, mais la commission rejette la proposition. Pontaillier revient à la charge dans un long exposé, à la fin de l'année 1894, montrant les avantages du projet et insistant sur le fait que Mme Hériard, propriétaire de la parcelle concernée, envisage de faire des travaux ; il ne faut donc pas laisser passer l'occasion, il sera trop tard quand les travaux seront faits. Cette fois, le projet est adopté et un accord intervient avec Mme Hériard au début de 1895. Elle "propose une parcelle de 14,49 ares limités par une ligne droite partant de l'angle sud-est de la maison de son métayer sur le chemin n°27 et aboutissant à l'angle sud-ouest de la parcelle de M. Dumont sur le chemin vicinal n°5" (c'est la grande ligne droite qui part du bas de la place des Ormeaux en direction du cimetière), moyennant 1575f payables au plus tard le 31 mars 1896 ; le rétablissement du chemin le long du terrain est à la charge et aux frais de la commune, les travaux devront être terminés dans la durée d'un an; le petit mur de clôture sera reconstruit sur le nouvel alignement. Le conseil accepte les conditions et vote les crédits nécessaires.

         En 1924 sera opéré le redressement de la place par rapport à la rue Raspail et à la route de Mornac.

 

          Quant au champ de foire des moutons, il est tantôt sur la place de l'église, tantôt sur l'emplacement de l'ancien cimetière, tantôt sur les deux. La municipalité a eu une politique hésitante en ce qui concerne la destination de l'ancien cimetière : domaine communal privé (vente pour 30f d'herbe récoltée sur place) jusqu'en 1885, place publique de 1886 à 1889 ("ce qui sera utile les jours de foire"), retour à la place privée parce que les riverains ouvrent des portes et des fenêtres sur la place publique. Un compte rendu de délibération indique que l'ancien cimetière sert au marché aux moutons en 1895. Le 28 mai 1901, le conseil décide que "la foire aux moutons se tiendra sur l'emplacement de l'ancien cimetière", la place de l'église étant encombrée par les matériaux utilisés pour reconstruire une maison qui a brûlé.

 

Place de l'église
Place de l'église
L'ancien cimetière s'étendait à l'est et au sud de l'église
L'ancien cimetière s'étendait à l'est et au sud de l'église

Aménagement du champ de foire et de ses accès

L'accès au champ de foire aux bœufs

          Depuis la création du champ de foire, l'accès se faisait par le chemin du bourg, dit chemin d'intérêt commun n°27 et par la route de Limoges, à l'est. Mais les voies sont encombrées les jours de foire, notamment celle du bourg qui a besoin d'un alignement pour supprimer les étranglements.

          En août 1888, le maire propose d'ouvrir une rue reliant le champ de foire à la route nationale ; le conseil décide qu'elle traversera le terrain de Marsat ; elle est réalisée en 1891 et porte le nom de rue Traversière de la route de Limoges au champ de foire. En 1919 son nom se réduit à rue Traversière et, en 1924, elle devient rue Anatole France "un ami du Peuple, aux idées larges et généreuses" selon la municipalité socialiste de l'époque.

          Une autre rue tout aussi importante est créée au début du XXème siècle : il s'agit de celle qui relie les deux champs de foires. En janvier 1907, Mme Hériard informe le conseil qu'elle cède du terrain pour cette voie. Comme le terrain abandonné n'aboutit pas directement à l'angle de l'avant-cour des écoles, pour avoir une route droite, on va consulter les propriétaires des parcelles situées entre les deux ; Chapuzet, minotier à la Terrière et la veuve Dumoussaud décident de céder gratuitement la superficie nécessaire à l'établissement de la voie qui rejoint ainsi la rue bordant l'école de filles et celle bordant le champ de foire aux bœufs. Les travaux commencent dès 1908 ; en 1919 on lui donne le nom de rue Raspail (ardent républicain du XIXème, populaire par ses ouvrages de vulgarisation scientifique).

 

L'aménagement du champ de foire aux bœufs

Carte envoyée en 1911
Carte envoyée en 1911

          Quand les parcelles sont achetées en 1866, elles étaient plantées de peupliers ; certains étant morts, le conseil décide, en 1871, de les faire tous arracher. Puis en 1877, il y fait répandre du sable et envisage de planter à nouveau des arbres. Mais en 1882, l'état des lieux qui s'est sérieusement dégradé, nécessite un empierrage. En 1887 une commission est nommée pour prendre les dispositions nécessaires à la plantation d'arbres sur le champ de foire, plantation qui semble n'avoir concerné que la partie haute.

          Le goudronnage n'est réalisé qu'à l'automne 1937 et uniquement sur la partie utilisée par les autobus qui ont remplacé le tramway.

 

La bascule publique

          Le principal aménagement est la bascule publique [1] dont l'achat a été décidé en septembre 1885. Comment a-t-on pu se passer si longtemps d'un instrument indispensable quand on a des foires aussi bien approvisionnées ?

Sans doute a-t-on "mis en balance" le coût de l'investissement et l'amortissement ! Le prix d'achat du pont bascule s'élève à 1290f, il faut en plus construire le local technique et creuser une fosse pour le mécanisme, ce qui entraîne une dépense totale de 2420f. Comme tous les instruments de mesures, la bascule fait l'objet d'un contrôle du service des poids et mesures qui met en demeure de faire les réparations nécessaires. Les parties soumises aux intempéries se dégradent assez rapidement : ainsi, dès 1897, il faut réparer le tablier (150f), puis le remplacer en 1910 (250f) ; d'autres réparations concernent le mécanisme comme en 1907 et 1922.

          A l'entretien s'ajoute la rémunération du préposé qui doit habiter de préférence au Pont ou au Bourg pour une raison de proximité. Celui-ci est tenu de rester à la disposition du public tous les jours car on ne pèse pas que les animaux vendus à la foire, on pèse aussi du foin, du charbon, du bois… Cependant en février 1909, le préposé est libéré le dimanche à 11 heures (il n'a pourtant demandé que son dimanche après-midi). Certains doivent trouver qu'on est trop bienveillant, aussi, en avril 1911 "la bascule sera tenue à la disposition du public toute la journée dimanche et jours fériés ; la préposée devra se faire remplacer si elle doit s'absenter". En février 1920, la bascule est fermée le dimanche et les jours fériés à midi sauf les jours de foire, à Pâques et à la Toussaint, toute la journée. Quel est le montant de la rémunération ? Les deux premiers préposés, Germain et Fleuranceau, perçoivent le tiers de la recette, soit environ 80f par an. Au 1er juillet 1898, le salaire passe à la moitié de la recette, le maire a eu du mal à trouver un nouveau préposé et la recette semble diminuer (elle varie de 134f à 184f pour les années 1900 à 1903). En 1922, les postulants au poste de préposé sont invités à soumissionner dans la limite maximum de 50% des recettes ; c'est Justin Fort qui est choisi, il ne demande que 30%.

          Les tarifs de pesée ont varié, aussi ne prendra-t-on que deux exemples relevant d'une approche différente :

-en 1919 : 0,50f pour une pesée quelconque, 0,25f pour un bœuf, 0,10f pour un porc ou un mouton.

-en 1920 : de 1 à 500 kg "0,50f ; de 501 à 1000 kg "1f ; de 1001 à 3000 kg "1,50f ; plus de 3000 kg" 2f ; tare du véhicule" 0,25f.

          En 1924, le nouveau percepteur, soucieux d'un respect scrupuleux de la comptabilité publique, écrit au maire pour savoir comment sont perçus les droits de pesage : si c'est par tickets, dans ce cas c'est lui qui doit en avoir la garde, si c'est par carnet à souche, les carnets doivent lui être présentés, si c'est par un autre moyen, il dénoncera l'irrégularité. Il se plaint de ne pouvoir exercer le contrôle d'autant que le préposé met de la mauvaise volonté dans le versement des sommes. En fait, depuis le début de l'année 1924, la perception des droits de pesage repose sur l'utilisation d'un carnet à souche, avec un versement trimestriel des sommes collectées.

          La bascule est aussi source de désagréments pour les riverains ; ses abords sont constamment entourés d'immondices à tel point que le conseil se demande même, en 1909, s'il ne faut pas construire des urinoirs sur le champ de foire (mais on ne passera de l'idée à la réalisation qu'en 1956). En juillet 1911, une pétition souhaite le déplacement de la bascule ; une commission est chargée d'étudier la question. En août, celle-ci remet un rapport qui n'est pas réconfortant; elle a étudié plusieurs solutions: la première serait de déplacer la bascule à proximité du cimetière mais le coût est trop élevé; la deuxième consisterait à l'implanter face à l'école de garçons ou à l'école de filles, le long de la clôture de la cour de la mairie, mais ce serait vraiment inesthétique ; la troisième, la plus simple, serait de la reculer "sur l'emplacement réservé par l'ancien conseil", mais ce n'est pas ce que réclament les pétitionnaires qui trouvent que la bascule est une plaie. Et on dresse la liste des récriminations : les ressources sont insuffisantes pour la maintenir en bon état, la fosse est pleine d'eau, le local sert d'urinoirs…et le reculement pose un problème de propriété. Donc il est primordial d'ajourner la question. En septembre, Dutheil, un des conseillers, affirme que le terrain prévu pour le reculement, lui appartient ; le cas devra être soumis au Conseil de préfecture. Mais personne ne retrouve les documents, ni à la mairie, ni à la préfecture. C'est avec soulagement que les riverains voient partir la bascule achetée par la commune de Saint-Quentin sur Charente, en 1954.

 

[1] Elle apparaît partiellement à l'extrême droite de la carte postale envoyée en 1911 ; (devant les actuels W.-C.).

 

Vers la fin des foires

          La municipalité est intéressée par la bonne tenue des foires ; elles suscitent une activité profitable aux commerces de la commune et indirectement à ses finances. Quant à l'apport direct, par le biais des droits de plaçage les jours de foire, il ne représente pas une grosse somme : ceux-ci apparaissent en 1869 : 15 centimes par mètre courant occupé par les marchandises, 5 centimes pour les marchandises tenues à la main, mais rien pour le bétail. Ces droits sont perçus par le biais d'une adjudication au plus offrant ; le montant de la mise à prix augmente avec la création de nouvelles foires, l'inflation et le développement du marché : 200f en 1869, 300f en 1885, 600f en 1891 (le service municipal de perception des droits n'est mis en place qu'à partir du 1er août 1920). En 1892, le préfet précise que les droits ne peuvent être perçus que sur la superficie occupée et que les marchands circulant avec des paniers doivent être exemptés.

          Au conseil municipal, en 1896, la proposition d'un droit sur les animaux vivants rencontre une vive opposition car on craint que les marchands désertent la foire de Ruelle. La crainte n'est peut-être pas injustifiée. Dans la deuxième moitié du 19ème, chaque commune voulant ses foires, elles se sont multipliées hors de proportion avec les besoins et certaines ont déjà périclité. La municipalité essaie donc de protéger les siennes, par exemple en s'opposant au transfert de lieu ou de date qui viendrait les concurrencer: en 1897 et 1898, Ruelle émet un avis défavorable à l'implantation d'une foire aux moutons et aux porcs sur la place Victor Hugo, à Angoulême.

          En juillet 1900, un arrêté préfectoral, a suspendu provisoirement les foires et marchés dans toutes les communes en raison d'une épidémie de fièvre aphteuse.

          Le 12 août, le conseil monte au créneau en demandant le rétablissement des foires, aucun cas n'ayant été signalé dans la  commune. Dès le lendemain, le préfet rétablit les foires de Ruelle d'autant qu'elles sont pourvues d'un service sanitaire (passage d'un vétérinaire).

          La crise du phylloxéra, dans le dernier quart du 19ème, a profondément marqué l'économie de la région en faisant disparaître les vignes qui ne seront pas replantées, contrairement à celles du Cognaçais. L'élevage se développe, aussi pour s'adapter à la situation, dès 1897, la municipalité pense à faire de la publicité pour transformer la foire aux bœufs en foire aux vaches et souhaite créer une foire aux chevaux. Elle reprend les mêmes idées, en 1911, notamment pour les quatre foires du 20 (dites foires grasses).

          Après la Grande Guerre, la municipalité essaie de trouver des solutions ; au budget de 1922, elle a prévu une somme de 500f pour organiser un concours d'élevage à l'occasion des foires et créer un comice agricole. En juillet 1925, en raison d'une fréquentation insuffisante de la foire aux bœufs, est reprise l'idée d'une foire aux vaches maigres et à cet effet une prime de 600f doit être répartie sur plusieurs mois pour attirer les marchands.

          L'économie rurale se transforme en se mécanisant, les foires aux bestiaux végètent et la Seconde Guerre leur porte un coup fatal. Il reste les volailles, les vêtements, les tissus, les chaussures… Tous les marchands forains ne logeant pas sur le terre-plein à l'occasion de la foire mensuelle, à partir du 1er janvier 1952, ceux qui vendent des produits de consommation courante tels les légumes, les fruits, les poissons, les volailles… sont regroupés sur le terre-plein ; les autres sont installés place du champ de Mars.

          Mais les modes de vie et de distribution changent, la foire du 4 périclite et disparaît vers 1990 (elle est encore mentionnée dans l'article 9 du règlement municipal de 1984).

 

sources

Archives municipales

- Registres des délibérations du conseil municipal.

- Dossiers divers.

- Plans cadastraux.

 

Archives départementales

- Série 2 OPROV 291.

- L'Annuaire de la Charente.

 

Études : Cahiers d'Histoire de Ruelle édités par l'Université Populaire.

Illustrations : documents d'archives, cartes postales.