L'Hôtel des Postes de 1930 : un édifice de caractère

Les services de la Poste, à la fin du 19ème

 

          Le Maine Gagnaud, zone comprise entre le pont, le passage à niveau et la gare, regroupe une grande partie des activités commerciales de la commune, la mairie et l'école de garçons (jusqu'en 1887), l'administration de la Fonderie ; aussi le bureau des Postes y a-t-il été installé dans un local loué. Depuis 1878, le bureau télégraphique initialement attaché à la Fonderie, y a été transféré, et la commune a dû prendre à sa charge la distribution des dépêches. Laurent Denis a accepté de les distribuer dans la partie agglomérée [1] pour 100 francs [2] par an (en 1878), et dans le reste de la commune, selon le tarif en vigueur. Quant au courrier, dans cette partie de la commune, il est distribué à 7 h du matin, 5 h du soir et 7h du soir jusqu'à la fin de 1904, puis la tournée de 5h est avancée à 1h de l'après midi. Les levées ont lieu plusieurs fois par jour et même le dimanche. En avril 1911, une lettre du Directeur des Postes et des Télégraphes de la Charente, dans le cadre de l'application du repos hebdomadaire précise que, les dimanches et jours fériés, une seule levée aura lieu à 8h du soir à la boîte de la Poste, et qu'il sera possible de conserver la boîte mobile de la gare avec ses levées habituelles. Le cachet porté sur les lettres mises dans cette dernière est un peu différent : il indique "Angoulême à Limoges" ou "Limoges à Angoulême", selon le sens de déplacement du train, au lieu du nom de la localité.

 

[1] Le Maine Gagnaud et le Bourg.

[2] Comme la plupart des dépêches sont pour la Fonderie, la commune, dans un premier temps n'avait voté que la moitié de la dépense, espérant que la Fonderie prendrait l'autre moitié à sa charge.

 

 

          Mais les locaux occupés par le bureau des Postes et le logement de la receveuse ne donnent pas entière satisfaction. En effet, au conseil du 4 juin 1899, le maire lit une lettre de la receveuse signalant qu'elle demande son changement d'affectation à l'administration, pour des considérations personnelles résultant de l'occupation du local, sans apporter plus de précisions. Le conseil municipal lui apporte un témoignage de reconnaissance pour sa manière de faire son travail, mais s'abstient de tout autre appréciation pour ne pas sortir de son rôle. Pour autant le problème des locaux n'est pas résolu.

 

A la recherche d'un emplacement

 

          En février 1907, le conseil municipal est informé du différend qui oppose l'administration des Postes et M. Lalut, propriétaire de l'immeuble, à propos du loyer et de l'état des locaux. Par sa lettre au maire du 2 février, le Directeur des Postes d'Angoulême indique que conformément au désir exprimé par la municipalité de Ruelle, l'administration a fait tous ses efforts pour maintenir le bureau dans la partie de la grande avenue comprise entre la rivière et la barrière du chemin de fer mais aucun local proposé ne se prête à l'installation du service et aucun local n'a été offert en dehors du quartier dit du Maine Gagnaud. Le bureau restera donc en place. Cependant le propriétaire consent à accorder une diminution de 50f sur le montant du loyer fixé à 800f, mais en laissant les locaux en l'état (situés au 33 ou 35 de l'avenue Jean-Jaurès, ancienne numérotation [1]).

          Dans sa séance du 20 février 1916, le conseil envisage l'éventualité de construire un bureau de postes avec logement du receveur, mais l'idée est ajournée dès le 18 juin 1916, les propriétaires des terrains convoités (immeubles Marsat et Lurat qui sont occupés par l'épicerie du Centre et le restaurant Labrousse) demandant un prix trop élevé. En juin 1922, à l'occasion de négociations pour l'alignement de la rue Pelletan, est reposée la question du bureau de Postes qui pourrait s'intégrer dans le projet.

 

[1] Il est difficile d'être plus précis, la parcelle possédée par Lalut ayant été partagée, vendue…

 

 Ce plan d'alignement dressé en 1869 montre que le côté nord de la rue est en dents de scie et que des maisons empiètent largement sur la chaussée.
 Ce plan d'alignement dressé en 1869 montre que le côté nord de la rue est en dents de scie et que des maisons empiètent largement sur la chaussée.

 

          C'est au conseil du 28 mai 1923 que le problème est abordé avec détermination : le bail du bureau de poste se termine le 31 mai 1925 et le propriétaire veut entrer en possession de son immeuble ; il faut donc chercher un lieu et profiter de l'occasion pour continuer l'œuvre d'alignement des rues. Pour cela, la municipalité envisage d'acquérir les immeubles Lurat, Marsat, Videau et Donarier situés rue Pelletan, place du Pont et avenue Wilson, "immeubles vieux et malsains", frappés d'alignement ; dont la disposition nuit à l'esthétique de la rue ainsi qu'à la circulation.

 

Cette carte postale, envoyée en 1904, montre la vétusté des immeubles du carrefour et l'empiètement. Lors de sa visite du 28 avril, l'Inspecteur des Postes et Télégraphes a approuvé le choix de cet emplacement qui est central.
Cette carte postale, envoyée en 1904, montre la vétusté des immeubles du carrefour et l'empiètement. Lors de sa visite du 28 avril, l'Inspecteur des Postes et Télégraphes a approuvé le choix de cet emplacement qui est central.
Plan dressé vers 1925 ; en rose, le bureau existant à cette époque.
Plan dressé vers 1925 ; en rose, le bureau existant à cette époque.

 

          En conséquence, le directeur des Postes et Télégraphes de la Charente demande à la commune d'accepter d'édifier un bureau qu'elle louerait à l'administration, le total du devis de l'architecte servant de base pour calculer le loyer qui pourrait correspondre au montant du terme d'intérêt de l'emprunt ; cependant le chiffre obtenu serait diminué d'au moins 1/5 à titre de participation de la commune. Il propose de fournir à l'architecte les indications utiles (pièces, disposition des locaux…) pour établir le plan. Le conseil donne son accord pour l'acquisition des immeubles et la construction de l'Hôtel des Postes. Mais ce que propose un fonctionnaire, même responsable départemental, n'est pas forcément entériné par sa hiérarchie. Au conseil du 25 octobre 1923, le maire communique les courriers du directeur des Postes dont l'administration, tout en reconnaissant les sacrifices de la commune, ne peut néanmoins accepter les 6000f de loyer et propose 5000f seulement ; ainsi qu'une longue durée, 25-30 ans, au lieu des 10 ans proposés par la municipalité.

          Malgré cela, le conseil renouvelle son accord pour la construction du bureau de Postes à l'angle des rues Wilson et Pelletan à l'emplacement des immeubles Donarier (à côté de la boulangerie "l'Épi Ruellois"), Lurat, Marsat, Videau ; il accepte également les propositions du Directeur des Postes (5000f et les 25-30 ans).

 

La difficile acquisition des lieux

          À la réunion du 1er décembre 1923, les conseillers disposent du rapport d'expertise des installations, rédigé par M. Puymoyen, géomètre :

- Donarier : petite maison route de Limoges de 3 appartements (pièces) très étroits au rez-de-chaussée, 2 chambres au 1er ; 30m² ; façade de 12m : 6000f

- Marsat : petite maison louée à Corlieu, contiguë à la précédente, 2 façades une sur la route de Limoges, l'autre à l'angle de plusieurs rues ; petit appartement au rez-de-chaussée, petit couloir avec escalier, même chose au 1er, grenier ; petite pièce ouvrant par porte vitrée sur la route de Limoges au tenant de l'escalier; par derrière un réduit surmonté d'une chambre; n'a de valeur que par sa situation ; 45m² : 6000f

- Lurat: maison louée à Desclides, façade sur un carrefour de rues ; 2 pièces et une cuisine au rez-de-chaussée ; même distribution au 1er ; petite cour et bûcher surmonté d'un grenier ; bien placée mais un peu délabrée ; 70 m² : 12000f

- Marsat : maison servant de restaurant, appartenant à Mme Veuve Marsat, louée à Mesmin par bail jusqu'en septembre 1931 ; sur la rue Camille Pelletan; 2 pièces au rez-de-chaussée, 3 chambres au 1er; grenier; petite cour et cellier; partie du cellier et de la pièce qui donne sur la rue en reculement ; 35 m² ; plus petit jardin à la Vergnade de 2 ares 15000f

- Videau: groupe de bâtiments au même lieu appartenant à Mme Veuve Videau et ses enfants ; maison occupée par Mme Vve Videau, avec rez-de-chaussée, 1er, cour devant entourée de murs, buanderie à côté, grange avec aireau bordant la rue Pelletan ; 2 ares plus jardin à la Vergnade de 2,20 ares 14000f

          Donc le tout 53000f

 

Demande des propriétaires : Donarier 12000f, Marsat 30000f, Lurat 15000f, Videau 14000f, le tout 71000f

Mme Videau a la jouissance de la maison qui appartient à ses enfants ; la commune devra trouver un immeuble à proximité pour la loger ; si les propriétaires acceptent, il sera traité à l'amiable ; il faudra demander à Mesmin à combien il estime le dommage commercial.

 

Le 20 novembre 1924, le conseil fait le point :

- le préfet a pris l'arrêté de déclaration d'utilité publique, le décret ayant été signé par le président de la République, Gaston Doumergue, le 20 septembre 1924 ;

- un accord est intervenu avec Louis Donarier, boulanger avenue Wilson, pour 7000f, avec la famille Lurat pour 13500f, les consorts Videau-Lacombe pour 14000f ;

- l'accord n'a pas été possible avec Mme Vve Marsat qui maintient 30000f contre 22000 proposés par la commune, ni avec M. Mesmin restaurateur rue Camille Pelletan, locataire d'une partie des immeubles concernés, à qui la commune propose 5000f (l'expert de Mesmin estime que c'est insuffisant pour la perte de 7 années de bail sur 9, la perte de bénéfices, et réclame en conséquence 50000f) ;

- il faudra éventuellement verser une indemnité pour perte de loyer s'il est nécessaire de congédier les locataires avant la prise de possession.

A la séance du 17 février 1925, le conseil décide d'emprunter 50000f pour acquérir les immeubles nécessaires à la construction. Une procédure d'expropriation a été lancée contre la Vve Marsat qui maintient ses prétentions.

Au 23 septembre 1925, l'affaire n'est pas réglée ; la Vve Marsat demande 27000f, l'aubergiste Mesmin maintient ses exigences et Corlieu, marchand des quatre saisons, veut une indemnité de 3000f. La commune reste sur ses positions (expropriation et indemnités proposées) et ne souhaite rien verser à Corlieu qui est devenu locataire après la décision d'expropriation. Lurat demande une indemnité de 750f pour n'avoir pas pu louer depuis le 1er mai 1924.

Le 27 février 1926 le conseil y voit plus clair, la justice s'est prononcée pour l'expropriation de l'immeuble de la Vve Marsat.

La dépense s'élève à :

     - immeuble Donarier 7000f

     - maison Lurat 13500f

     - maison Videau 14000f

     - maison Marsat 29000f

     - indemnité Mesmin 9000f

     - indemnité Corlieu 1000f

     - honoraires d'avocat 1000f

     - frais d'expropriation 500f

     - frais d'actes 2000f

     - construction d'après le devis Baleix 134000f

     - frais d'emprunt 2000f

          total 213000f

 

         Pour limiter le coût de l'emprunt, le conseil décide de s'adresser aux particuliers par le biais de 426 obligations de 500f (transformées en bons, réalisant ainsi une économie de 38000F), remboursables en 23 ans par tirage au sort annuel.

Les honoraires de M. Puet, avocat de la commune dans l'expropriation de la Vve Marsat propriétaire, Mesmin et Corlieu locataires, seront pris sur l'emprunt (les expropriés demandaient 89600f, il leur a été accordé 39000F soit une différence de 50600f au bénéfice de la commune).

          A la réunion du 10 septembre 1926, le conseil constate que la souscription à la1ère tranche de l'emprunt s'élevant à 83000f, n'a été couverte qu'à hauteur de 40000f ; il faudra donc revoir le financement. A celle du 3 mars 1927, les conseillers apprennent que les héritiers Lalut offrent de vendre la maison et les dépendances louées à la Poste pour 70000f, mais ils refusent la proposition parce que le prix est jugé trop élevé, et surtout parce que les achats d'immeubles sont déjà réalisés ou en voie de l'être. Cependant la commune ne peut pas acheter l'immeuble Donarier en raison d'une irrégularité dans l'acte d'acquisition par Donarier ; en conséquence la superficie du bureau de poste est limitée aux terrains disponibles.

 

La construction

 

          Le 26 avril 1927 est présenté l'avant-projet élaboré par Roger Baleix [voir biographie à la fin de cet article], architecte départemental. Mais auparavant il faut démolir les immeubles Marsat et Lurat. À cet effet un marché de gré à gré est passé entre le maire et Raoul Rousseau entrepreneur de travaux publics à Angoulême le 4 mai 1927 :

- les immeubles Marsat et Lurat seront démolis dans un délai de 2 mois à compter du 4 mai 1927 ; la démolition sera achevée au plus tard le 15 juillet 1927 ;

- tous les matériaux et résidus seront la propriété de l'adjudicataire, moyennant la redevance de 2020 francs à verser au receveur municipal ;

- les travaux ne devront pas entraver la circulation.

 

          Le 2 septembre 1927, les projets de construction sont enfin soumis au conseil ; il choisit le projet en ciment armé (175000f) plutôt que le projet en maçonnerie (120000f) car la façade est plus belle et que "le lieu où est situé la construction exige un établissement digne de la localité". Le souci de l'esthétique est à nouveau mis en avant.

          A la séance suivante, le 18 octobre 1927, sont adoptés les plans, devis et cahier des charges dressés par Roger Baleix, avant la mise en adjudication ; est voté aussi, un emprunt de 150000f auprès du Crédit foncier puisque la souscription n'a pas été fructueuse, et on propose à la Poste, un bail de 30 ans à compter du 1er janvier 1929.

 

          On pourrait croire que tout va pour le mieux, mais il suffit qu'une personne change et tout peut être remis en cause, comme par exemple le choix du lieu d'implantation. En effet, le maire reçoit une lettre de M. David, Inspecteur des Postes, Télégraphe et Téléphone de la Charente, datée du 22 décembre 1927, consécutive au rapport de visite du terrain par le docteur Roy. Ce dernier critique l'emplacement choisi, qui est situé au niveau des brouillards et presque au niveau des eaux de la Touvre lorsqu'elle est en crue, attire l'attention sur le mauvais écoulement des eaux de pluie. En conséquence l'Inspecteur demande d'indiquer les raisons qui ont déterminé ce choix ; et de faire examiner la situation signalée au sujet de l'écoulement des eaux de pluie, par le service compétent. Se contentait-il d'ouvrir le parapluie ?

          Le maire n'a dû apprécier que modérément ce cadeau de Noël ; il lui répond, point par point, le 26 décembre :

- la ville de Ruelle est située sur la Touvre, cette rivière amène des brouillards comme toutes les rivières.

- l'emplacement a été choisi avec l'accord de l'ancien directeur des PTT à Angoulême, parce qu'il est situé au centre de Ruelle, à 100m de la porte d'entrée de la fonderie de canons de la marine qui occupe 1500 ouvriers, au carrefour de la N141 et du chemin d'intérêt commun n° 27, en face de la place Montalembert.

- la Touvre dont la longueur est de 8km, à Ruelle est à la moitié de son parcours et n'a jamais de crue.

- les inconvénients d'évacuation des eaux n'existent que pendant les forts orages qui durent quelques heures, les bouches d'égout ne suffisant pas toujours ; pour y remédier, les Ponts et Chaussées ont doublé le nombre de bouches (4 au lieu de 2) depuis une quinzaine de jours.

- afin d'éviter l'humidité, l'architecte a prévu 5 marches pour accéder au rez-de-chaussée qui sera en ciment et isolera de la fraîcheur.

          L'Inspecteur des Postes a vraisemblablement été convaincu par les arguments du maire.

 

Sur ce plan de février 1928, apparaît l'angle rentrant correspondant à l'immeuble Donarier ainsi que l'unique porte de la façade à l'angle des rues Pelletan et Wilson (coin nord-ouest).
Sur ce plan de février 1928, apparaît l'angle rentrant correspondant à l'immeuble Donarier ainsi que l'unique porte de la façade à l'angle des rues Pelletan et Wilson (coin nord-ouest).

 

          Le 3 août 1928, après une période de négociation au cours de laquelle des travaux supplémentaires ont été demandés, le bail de location est signé, avec effet au 31 juillet 1929, avant même l'adjudication des travaux.

          Le 2 septembre 1928 celle-ci a lieu à la mairie de Ruelle avec Jean Antoine maire, Marcelin Huguet et Henri Champemond, conseillers municipaux, Jacques Massei receveur municipal, Roger Baleix architecte du département ; les travaux sont regroupés dans un lot unique comprenant tous les corps de métier [1], pour 148000f.

          Une seule entreprise a déposé une soumission, c'est l'entreprise Bernard fils et Audigier, entrepreneurs de TP à Angoulême, avec rabais de 7%.

          Le 20 novembre 1928, le conseil accepte une modification proposée par l'architecte, Roger Baleix : il s'agit de faire deux portes identiques, l'une à l'angle de la rue Camille Pelletan et face au terre-plein, donnant accès au bureau des employés, l'autre à l'angle de l'avenue Président Wilson et face au terre-plein (la seule prévue aux plans primitifs), réservée à l'entrée du public.

          Le 22 novembre 1929, en raison du retard, le bail est à nouveau revu, il commencera le 1er mars 1930, pour 30 ans. Le conseil souhaiterait augmenter le loyer : 10000f au lieu des 5000f prévus en 1923.

 

À la séance du 22 février 1930, on fait le bilan des travaux qui sont presque terminés :

     - mémoire Bernard 184980

     - mémoire Eynard (eau) 4055

     - mémoire Déziré (sculpture) 9612

     - mémoire Cie du gaz (supplément) 659,50

          total 199306,50

          honoraires à 5% 9965,30

          total général 209271,80 francs

 

          En ce qui concerne l'augmentation du loyer (de 5000 à 10000 /an), le directeur départemental des Postes craint une opposition du ministre des finances et signale la possibilité d'un achat des locaux par son ministère avec une réduction de 25% sur le montant des travaux (lettre du 7 février 1930 du Directeur des Postes et Télégraphes de la Charente).

 

[1] L'importance du chantier ne justifiait pas forcément un lot par catégorie de métiers et le regroupement en un lot unique permettait d'avoir un seul interlocuteur, libre à lui de sous-traiter une partie des travaux. Ce choix, est-il une conséquence des soucis rencontrés lors de la construction des bains-douches ? Il favorisait une entreprise générale ou au moins une assez grosse entreprise au détriment des artisans locaux, mais ceux-ci ne se sont pas précipités pour soumissionner.

 

L'inauguration

 

          Enfin, l'Hôtel des Postes est terminé. N'a-t-il pas fière allure à l'angle de l'avenue Wilson et de la rue Camille Pelletan, face au terre-plein ? Ne montre-t-il pas à tous ces voyageurs venant d'Angoulême et se rendant à Limoges que Ruelle est une ville qui tient son rang ? En effet, la façade principale qui porte en gros caractères le nom de la ville et la destination du bâtiment, est assez bien réussie d'autant plus que l'ajout d'une deuxième porte a parachevé la symétrie et renforcé l'aspect monumental de l'ensemble.

          La décoration sculptée, de type floral souligne la ligne horizontale séparant les deux étages, agrémente la partie supérieure de la construction, et orne les triangles coiffant les portes dont l'arrondi en plein cintre brise l'austérité de façades où dominent les lignes droites.

          Le travail d'ornementation a été confié au sculpteur angoumoisin Léon Déziré [1]. Il est évident que l'édifice porte l'empreinte du style Art déco, en vogue à l'époque de la construction.

 

[1] Traité de gré à gré d'un montant de 9612 francs, voté par le conseil en septembre 1929.

 

 

          Le bâtiment est inauguré le 2 mars. L'événement est relaté dans la presse, le lendemain.

La Charente du lundi 3 mars 1930

"Dimanche 2 mars a eu lieu l'inauguration de l'Hôtel des Postes de Ruelle devant un assez nombreux public. Cette cérémonie avait réuni dans l'enceinte de l'immeuble, M. Antoine, maire et son conseil municipal ainsi que le personnel employé à la mairie ; M. le Directeur départemental des Postes et Télégraphes d'Angoulême ; M. David, inspecteur au même service, ainsi que quelques fonctionnaires spécialement invités ; M. Baleix architecte départemental et son collaborateur, M. Fauveau. M. Chouzevoux, le nouveau receveur des Postes à Ruelle avait également réuni tout son personnel et l'a présenté en excellents termes à M. le Directeur des Postes. Un vin d'honneur offert par la municipalité avait réuni une quarantaine de personnes. M. Bonhomme, conseiller municipal, a chanté un air de "Manon" et a été des plus applaudis. Durant la cérémonie, l'excellente Musique de la Fonderie… a fait entendre les meilleurs morceaux de son répertoire. Cette manifestation intime a pris fin vers midi."

 

L'article est beaucoup plus neutre que le discours du maire, Jean Antoine, dont une partie est reproduite ci-dessous [1].

 

"Mesdames, Messieurs, Camarades,

C'est hier que l'administration des PTT a pris officiellement possession de ce local. Son édification n'était point prévue par nos camarades quand, en 1919, pour la 1ère fois la classe ouvrière prit possession de l'Hôtel de Ville. Nous y fûmes conduits par les événements. Vous vous rappelez l'état de nos rues et places publiques, leur entretien défectueux. Quand nous eûmes organisés l'enlèvement des détritus ménagers, il nous apparut tout de suite que nos rues manquaient d'esthétique. L'alignement de la Terrière, celui du Bac du Chien, le redressement de la rue Pelletan absorbèrent tout de suite l'activité du Conseil municipal.

Ceci fait nous nous aperçûmes que l'angle de la route de Limoges et de la rue Pelletan offrait un spectacle un peu laid. Les vieilles maisons situées en reculement depuis 70 ans constituaient au cœur même de notre petite cité, une tache qu'il fallait faire disparaître. C'est alors que M. Dubarry, directeur des Postes à Angoulême, nous fit part des difficultés de son administration avec le propriétaire du local de la poste.

C'est ainsi que fut décidée, au cours de l'année 1923, la construction de l'immeuble dans lequel nous sommes aujourd'hui… Le plan est l'œuvre de M. Baleix, architecte départemental ; il a su, aidé de son collaborateur, M. Fauveau, utiliser au mieux le terrain quelque peu réduit dont nous disposions…"

 

Du discours du Directeur départemental des Postes et Télégraphes d'Angoulême on retiendra une phrase qui a dû chatouiller agréablement l'oreille du maire: "…cet édifice, fait honneur à la municipalité qui en a pris l'initiative, en a conçu les plans et surveillé l'exécution…"

 

[1] Et encore les propos avaient été atténués si on compare avec le brouillon gardé dans le dossier, aux archives de la mairie.

 

Un demi-siècle de service

 

Comme l'éventualité en avait été évoquée dès février 1930, l'Hôtel des Postes est vendu au ministère des Postes, Télégraphe et Téléphone, le 30 juillet 1931, pour 161000 francs [1]. Même s'il sort du patrimoine communal, il continue d'assurer le rôle pour lequel il a été construit: réception du public pour les opérations d'affranchissement, les dépôts ou retraits d'argent, l'utilisation des cabines téléphoniques… mais c'est aussi le lieu de tri du courrier avant la distribution par les facteurs, le lieu de regroupement des lettres et paquets avant leur expédition vers le centre de tri… beaucoup d'activités, dans un espace restreint. Pourtant après la guerre, il reste encore des possibilités d'agrandissement tant sur la rue Camille Pelletan (la pharmacie n'est pas construite) que sur l'avenue Wilson (l'ancien immeuble Donarier).

 

[1] Achat autorisé par le ministère des Postes par décision du 4 juillet 1931, comprenant aussi le jardin dans la Vergnade, provenant des consorts Videau- Marsat.

 

Carte postale du début des années 50 ; la toiture a été modifiée. La pharmacie n'est pas construite, elle n'entre en service qu'en 1959.
Carte postale du début des années 50 ; la toiture a été modifiée. La pharmacie n'est pas construite, elle n'entre en service qu'en 1959.
Partie de carte postale juste postérieure à la construction de la pharmacie.
Partie de carte postale juste postérieure à la construction de la pharmacie.

 

          Avec l'accroissement de la population et l'augmentation du volume du courrier, l'exiguïté des locaux, déjà contenue en germe lors de la construction [1], devient un problème aigu s'opposant à une modernisation du service. La commune qui a décidé dès 1971 d'acquérir l'immeuble Massaloux, immeuble vétuste situé en face du bureau de tabac, demande au ministère des Postes et Télécommunications la construction d'un nouveau bureau. Il faut attendre 1984 pour que le souhait soit pris en considération. L'Hôtel des Postes continue d'être utilisé jusqu'au printemps 1987, époque à laquelle le nouveau bureau est ouvert au public. Mais que faire de l'ancien ? Le directeur des services fiscaux propose à la commune d'acquérir l'ancienne poste pour 400000 francs. Le conseil municipal émet un avis défavorable dans sa séance du 15 janvier 1988.

 

[1] "La superficie est limitée aux terrains disponibles"

 

Un nouvel avenir

Photo prise en 2012
Photo prise en 2012

          Le bâtiment reste peu de temps sans affectation. La pharmacie voisine, très à l'étroit dans ses locaux, décide de l'acquérir, ainsi que l'ancien immeuble Donarier qui avait été utilisé comme magasin de vêtements pour enfants. Le changement de destination et l'intégration dans l'ensemble existant nécessitent d'entreprendre des transformations importantes: reprise du sol pour que tout soit au même niveau, modification des ouvertures… Mais il faut opérer sans altérer l'aspect architectural des lieux. Même si les portes sont transformées en baies et certaines fenêtres agrandies en entrées ou en larges baies, le résultat est assez réussi.

          De plus il a fallu intégrer aussi harmonieusement que possible l'extension sur l'avenue Wilson et celle faisant la jonction avec la partie originelle de la pharmacie, sur la rue Camille Pelletan. Les travaux sont terminés en 1991.

Façade avenue président Wilson en 2015
Façade avenue président Wilson en 2015
Façade rue Camille Pelletan en 2015
Façade rue Camille Pelletan en 2015

Photo prise en 2012
Photo prise en 2012

          L'inscription "Postes, Télégraphes, Téléphones, Caisse nationale d'épargne, chèques postaux" a été rabotée pour être remplacée par la vasque et le serpent d'Esculape symbolisant la nouvelle affectation du bâtiment qui, d'une autre façon, continue de participer à la vie de la commune.

 

Roger BALEIX - Angoulême 1885-1958

          On doit à cet architecte attaché au département de la Charente, une production variée, marquée par le style Art déco. Parmi ses œuvres les plus marquantes, à Angoulême, la "maison bateau" (1930, rue Lehmann), l'immeuble en bow-windows de la rue Chabasse (1930), la caserne des pompiers [1] (1931), l'école Mario Roustand (1932), l'hôpital de Girac (1933), le centre d'action sociale (1936, devenu bibliothèque municipale). Il fut arrêté par la milice en juin 1944 et déporté en Allemagne. Sa fille, Jacqueline [2], fut une des journalistes, la seule femme de la rédaction, de l'équipe des débuts de Charente Libre.

          Extraits du Dictionnaire biographique des Charentais

 

[1] Ancienne caserne, sur le rempart du nord.

[2] Jacqueline Labrégère-Baleix a tenu la librairie l'Heptaméron, Rampe d'Aguesseau, à Angoulême.

 

Sources

Témoignages oraux : Mme Martin-Gin ; M. J-P Martin.

 

Archives municipales

- Registres des délibérations du conseil municipal.

- Dossier Hôtel des Postes.

 

Archives départementales

- Presse : La Charente du lundi 3 mars 1930.

 

Bibliographie

- Dictionnaire biographique des Charentais, Le Croît vif, 2005.

- Cahiers d'Histoire de Ruelle édités par l'Université Populaire.

 

Illustrations : documents d'archives, cartes postales, photos prises par Annie Herbreteau.