La desserte de Ruelle par le tramway électrique

La construction de la ligne et son inauguration

 

          Au XIXème siècle, si on veut se rendre de Ruelle à Angoulême on a le choix entre le déplacement à pied, à cheval, ou en voiture à traction animale, moyens auxquels s'est ajouté le chemin de fer, depuis l'ouverture de la ligne de Limoges en 1875. Dans les dernières années du siècle, à l'instar de nombreuses villes, Angoulême décide la construction d'un réseau de tramways électriques. Les communes des deux cantons d'Angoulême sont consultées et Ruelle émet un avis favorable en demandant que la ligne cathédrale-La Madeleine soit prolongée jusqu'à Ruelle (délibération du 31 mai 1896). Mais le projet est abandonné. Le 30 décembre 1898, le conseil municipal se prononce sur un nouveau projet de tramway électrique proposé par Angoulême, dont la ligne n°2 va jusqu'au champ de foire de Ruelle. Elle part du Jardin vert emprunte le rempart Desaix, la rue Haute du Parc (avenue Georges Clémenceau), les places du Marché neuf (Bouillaud) de l'Hôtel de Ville, la rue des Halles, le boulevard Pasteur, la rampe d'Aguesseau, l'avenue Gambetta, la route de Limoges et la route du bourg de Ruelle jusqu'en face de l'Hôtel de Ville. Sa longueur est d'environ 7.350 mètres.

          Constatant, d'une part qu'aucune observation n'a été présentée à l'enquête d'utilité publique ouverte à la mairie du 28 novembre au 29 décembre 1898, d'autre part que les voies empruntées sur Ruelle (la nationale 141 de Clermont à Saintes et le chemin d'intérêt commun n°27 de Roffit au Pontil), dépendent soit des Ponts et chaussées soit du service vicinal (département), et enfin que la commune n'a ni dépenses ni responsabilité à supporter, les dispositions pour les services téléphoniques, télégraphiques et d'éclairage étant prises par la Société des Tramways, le conseil donne un avis très favorable. Cependant, dans l'intérêt de la circulation, il émet le vœu que le pavage de la ligne soit supprimé aux endroits où les déclivités dépassent ou atteignent 4cm par mètre, notamment dans la côte du treuil (appelée aussi de Bel-air) pour éviter que les chevaux glissent. Il émet aussi le vœu que le prix soit inférieur au prix du billet de chemin de fer et des voitures publiques, qu'il soit délivré des billets aller et retour et des abonnements.

 

          La construction de la ligne, commencée en 1899, atteint Chaumontet (L'Isle d'Espagnac) en avril 1900. En décembre 1900, la ligne étant achevée, elle est testée, comme en témoigne Le Matin charentais du 15 décembre :

"Les essais de traction continuent avec beaucoup d'activité. Jeudi matin, à dix heures, les ingénieurs de la compagnie accompagnés de quelques personnes ont quitté l'usine du Gond en "tram" et se sont rendus à Ruelle, où ils sont arrivés à très bon port. Dans l'après-midi, les essais ont continué.

La commission composée de MM. Mulac, Draux, Lévesque, Pontaillier, avait pris place dans une voiture qui est partie du Jardin Vert, point terminus de la ligne n°2, et a suivi par le boulevard Desaix, la place de la Commune, la place de l'Hôtel de Ville, la rue des Halles, le boulevard Pasteur, l'avenue Gambetta, la route de Ruelle, jusqu'au champ de foire de cette dernière localité. En cours de Route, des essais de freinage et d'arrêt ont été faits à différentes vitesses, en palier et sur rampes. Ils ont été satisfaisants.

Au retour, une voiture de remorque (un buffalo en argot de tram) a été attachée à la voiture qui portait la commission. Une quarantaine de personnes y sont montées. Les deux voitures ont gravi, à une vitesse de 15km à l'heure, la forte côte qui est au départ de Ruelle.

La commission est revenue à Angoulême, est allée visiter l'usine du Gond, dont elle a admiré le puissant outillage, et est repartie enfin pour accepter la ligne n°5."

 

          Au Gond, dans le prolongement de la ligne n°5 (qui va de Saint Martin à l'octroi de la route de Paris, à la limite d'Angoulême et du Gond), ont été construites des remises pour les voitures et l'usine de production d'énergie électrique alimentant le réseau.

Le Matin charentais, le vendredi 14 décembre, a annoncé les grandes lignes du programme de l'inauguration des 2 lignes achevées (n°2 et n°5) :

"Samedi soir, à 8h et demie, retraite au flambeau avec le concours d'une musique militaire ; elle partira de l'Hôtel de Ville qui sera pavoisé et illuminé, pour suivre la rue des Halles, la rampe d'Aguesseau, l'avenue Gambetta, la rue de la Gare, le pont des Fainéants, la rue Leclerc-Chauvin, la rue de Paris, la rue de la Corderie, la rue de Montmoreau et la rue de Périgueux.

L'inauguration aura lieu dimanche, à deux heures ; le cortège officiel se rendra sur la place de l'Hôtel de Ville pour prendre place dans les voitures électriques qui le conduiront à Ruelle. Une des musiques de la garnison prêtera son concours ; un des tramways sera à la disposition des musiciens qui, pendant la durée du parcours, exécuteront plusieurs morceaux.

On prête à M. le maire de Ruelle l'intention d'offrir un punch aux personnalités qui assisteront à l'inauguration ; ce qui est d'ores et déjà certain, c'est qu'au retour la municipalité d'Angoulême en offrira un dans la salle des fêtes de l'Hôtel de Ville."

 

          En effet le conseil municipal de Ruelle, à la demande du maire, Antoine Pontaillier, a voté un crédit de 100f pour l'inauguration à laquelle participe une centaine d'invités dont le préfet, des chefs de l'administration, des chefs de services… Le conseil est convié à recevoir les officiels à leur descente des voitures, au champ de foire, le 16 décembre. Un incident sans gravité, (la voiture officielle est sortie des rails), dû au manque d'expérience du wattman qui a abordé la courbe à l'entrée de la rue de Montmoreau à trop vive allure, perturbe quelque peu l'inauguration. Dès le lendemain, le lundi 17, à 8heures, la ligne est ouverte au public.

En parcourant la ligne

 

          Partant initialement du Jardin vert, puis à partir de 1907 de la place Bouillaud, la ligne n°2 longe les Halles, descend par la rampe d'Aguesseau, passe entre les gares par l'avenue Gambetta laissant à l'ouest la gare de la Compagnie du Paris-Orléans (la gare actuelle), à l'est, la gare de l'État (ligne Angoulême-Saintes) et la gare des Chemins de fer départementaux [1] (ligne Angoulême-Matha-Saint Jean d'Angély) et rejoint la route de Limoges à l'ancien carrefour de La Madeleine. Après avoir traversé l'Isle d'Espagnac en empruntant la route de Limoges, le tramway arrive à Bel-Air et commence la descente vers le passage à niveau de Ruelle.

 

[1] Emplacement occupé après la Seconde Guerre mondiale par le Centre de tri postal.

 

Vue en direction d'Angoulême ; carte postale envoyée en 1909.
Vue en direction d'Angoulême ; carte postale envoyée en 1909.
Le tramway au passage à niveau
Le tramway au passage à niveau

           Au passage à niveau les rails du tramway coupent à angle droit les voies de la ligne de Limoges. C'est un passage difficile et dangereux ; en outre la fermeture prolongée des barrières est source de conflit avec la Compagnie du Paris-Orléans qui a la concession de la ligne Angoulême-Limoges depuis 1883.

 

Carte postale réalisée après la mise en service du tramway (décembre 1900) et avant la construction du terre-plein et le déplacement du kiosque à journaux (1902).
Carte postale réalisée après la mise en service du tramway (décembre 1900) et avant la construction du terre-plein et le déplacement du kiosque à journaux (1902).
Le pavage de la voie du tramway était redouté pour les chevaux (selon le conseil de Ruelle du 30 décembre 1898). Les ouvriers de la Fonderie fournissent une part importante des usagers du tram.
Le pavage de la voie du tramway était redouté pour les chevaux (selon le conseil de Ruelle du 30 décembre 1898). Les ouvriers de la Fonderie fournissent une part importante des usagers du tram.

Carte postale envoyée en 1909. De chaque côté de la rue, se dressent les deux poteaux supportant les fils d'alimentation électrique.
Carte postale envoyée en 1909. De chaque côté de la rue, se dressent les deux poteaux supportant les fils d'alimentation électrique.
Carte postale envoyée en 1905. Du passage à niveau à la rue du Bourg, le tramway circule au milieu de la RN 141.
Carte postale envoyée en 1905. Du passage à niveau à la rue du Bourg, le tramway circule au milieu de la RN 141.

Aux heures de pointe, une remorque est attelée à la motrice. C'est la ligne la plus longue mais aussi la plus utilisée du réseau.
Aux heures de pointe, une remorque est attelée à la motrice. C'est la ligne la plus longue mais aussi la plus utilisée du réseau.
Après le terre-plein la voie abandonne la route de Limoges et entre dans la rue du Bourg.
Après le terre-plein la voie abandonne la route de Limoges et entre dans la rue du Bourg.

Dans cette rue dont la partie gauche est frappée d'alignement, le tramway circule près du trottoir de droite ; en conséquence, un poteau avec potence suffit pour maintenir les câbles d'alimentation électrique. Carte envoyée en 1911.

Enfin, le tramway arrive à son terminus, place du Champ de foire (d'où le nom de l'ancien café-restaurant). On voit le poteau au centre, le réseau des fils électriques ainsi que la voie qui se dédouble pour assurer les manœuvres, l'évitement et le garage sur la place. Carte envoyée en 1911.


Le fonctionnement

L'accès

          Pour répondre aux questions que se posent les futurs usagers, la presse a donné des renseignements concernant le coût et les arrêts avant même l'ouverture au public. Dans les limites de la commune d'Angoulême, le prix de la place s'élève à 10 centimes (15 centimes en cas de correspondance) ; les enfants en dessous de 4 ans sont transportés gratuitement s'ils demeurent sur les genoux de l'accompagnateur, ainsi que les paquets ou colis s'ils restent sur les genoux, sans dépasser la largeur de la place et le poids de 10kg. En dehors de la commune d'Angoulême, le tarif est le suivant : de la limite de la commune aux Mérigots, 5 centimes ; à Chaumontet, 10 c ; à la Maison d'Ardoise, 15 c ; à l'entrée de Ruelle, 20 c ; au champ de foire de Ruelle, 25 centimes. L'abonnement annuel s'élève à 100f pour le trajet Ruelle-Angoulême (la municipalité souhaite qu'il soit réduit à 80f).

 

"Une question qui inquiète beaucoup le public est celle de savoir si les trams arrêteront à toute réquisition des personnes qui voudront monter ou descendre. Non, mais il y aura des arrêts nombreux en des points déterminés et peu éloignés les uns des autres. Ceci permettra d'aller plus vite en évitant les arrêts à chaque porte et facilitera le service du wattman (conducteur) qui saura exactement où il doit s'arrêter." (Le Matin charentais, 15 décembre 1900)

 

          L'intervalle entre deux dessertes, initialement d'une demi-heure, avec l'augmentation du trafic, passe à 20 minutes, et une remorque est accrochée à la voiture électrique aux heures de pointe.

 

Les demandes d'amélioration

          Le conseil municipal est souvent le relais de demandes d'amélioration : souhait d'une halte au Maine Gagnaud (1907) ou, à mi-côte, à la route des Seguins (1928); vœu que la première voiture du matin arrive un peu avant l'entrée des ouvriers de la fonderie (1913). Il demande qu'une indication de garage soit placée au terminus de la ligne pour que les usagers sachent si le tram reste en stationnement ou repart, et que des abris soient installés aux endroits les plus fréquentés qui en sont encore dépourvus, comme Bel-Air et le passage à niveau (1907).

          La ligne de tramway engendre aussi des désagréments : les riverains se plaignent que le tram lors de son passage soulève un nuage de poussière. Le conseil municipal demande donc au préfet que la route de Limoges et le chemin n°27 (rue du bourg) soient goudronnés et signale qu'il existe du goudron à la fonderie (juin 1904). En septembre 1904, le maire fait part de la réponse des services de la préfecture : il faut 12 tonnes de goudron ; la marine autoriserait de prendre du goudron à 2,50f les 100kg mais les divers frais (enlèvement…) les porteraient à 4f, soit le même prix que celui de l'usine à gaz d'Angoulême, alors qu'il est de moins bonne qualité ; en outre la route 141 n'est pas en état de recevoir un goudronnage, elle a besoin d'être cylindrée ; il faudra donc attendre au moins l'année suivante ("l'administration fera son possible").

 

L'entretien

          Les câbles d'alimentation électrique sont maintenus au dessus de la voie par un fil tendu entre des poteaux ou accroché aux façades bordant la rue. Suite à la rupture d'un poteau au début de 1908, le maire demande que les supports en bois soient remplacés par des poteaux en fer dans la traversée de Ruelle. La requête n'est que modérément appréciée, car le rapport de "l'ingénieur ordinaire du contrôle des tramways", parvenu en mai 1908, indique que "le service de contrôle prescrira ce remplacement avant que les poteaux soient arrivés à la limite d'usure". Cependant, par un courrier parvenu en octobre 1908, la Compagnie des tramways, sans doute pour dégager sa responsabilité, porte à la connaissance du conseil municipal les mesures prises pour gérer le remplacement de tous les poteaux par des supports métalliques dans la traversée de Ruelle : moitié d'ici fin décembre et pour le surplus dans le courant de l'année suivante. En fait, dès le début de 1909 on utilise des poteaux constitués par une âme en bois, enveloppée de ciment armé, mais on oublie d'évacuer les anciens puisque la municipalité, dans sa séance du 24 juillet 1909, est obligée de demander à la Compagnie des tramways de passer enlever les poteaux en bois devenus inutiles par suite de leur remplacement.

          En septembre 1910, la compagnie est informée du très mauvais état de son abri situé à côté du kiosque à journaux Brun, près de l'entrée principale de la Fonderie. En octobre 1913, rien n'ayant été fait, la municipalité souhaite que l'abri soit enlevé faute de réparation, et elle doit réitérer sa demande en février 1914.

 

La sécurité et les accidents

          Des travaux ont pour objectif la sécurité des usagers : il faut entretenir les aiguillages, parfois relever la voie dont le soubassement s'est affaissé, et surveiller plus particulièrement certains points dangereux comme le croisement du passage à niveau où se coupent la ligne de chemin de fer et la voie du tramway. En février 1915, la Compagnie d'Orléans et celle des Tramways ont prévu de refaire, "dans de brefs délais", ce croisement défectueux; en conséquence la circulation du tramway sera momentanément limitée au passage à niveau. Mais les travaux vont durer. La Compagnie d'Orléans a-t-elle fait preuve de mauvaise volonté ? Ne considère-t-elle pas, comme elle l'affirme dans un courrier de 1902, que depuis la construction de la ligne de tramways, la sécurité n'est pas assurée ? Ne voit-elle pas dans le tram un concurrent local (ce qui explique, parfois, la fermeture prolongée des barrières) ? En cette période de guerre, a-t-on manqué du métal nécessaire pour effectuer les réparations ? Quoi qu'il en soit, le maire, qui avait souhaité (en février) que le tramway recommence à circuler jusqu'au terminus dès que possible, demande, fin août 1915, à la Compagnie des Tramways, qu'une voiture fasse la navette entre le passage à niveau et le terminus en attendant la réparation du croisement des voies. Pour des raisons de rentabilité, la Compagnie refuse d'accorder cette navette. La reprise du trafic des tramways jusqu'au terminus, n'intervient que le 10 août 1918.

          Dès la mise en service du tramway, la sécurité des personnes a été un souci de la municipalité. Par exemple, le 28 mai 1901, suivant les recommandations de la commission chargée d'organiser la fête patronale du 9 juin, elle demande que les installations des forains ne gênent pas la circulation du tramway ; elle intervient, auprès de la Compagnie pour que l'allure soit modérée dans la courbe près du pont, et qu'éventuellement la circulation du tram soit suspendue, sur le pont, pendant le feu d'artifice.

 

          Cependant, pour diverses raisons des accidents se produisent. Dans la presse du 5 octobre 1904, on relève une collision avec un piéton : "Mardi, jour de foire de Ruelle, à 2h, un tram passe en face la charcuterie de M. Videau ; Mme Devoureix, âgée de 64 ans, n'entendant pas les appels du wattman, traversa la rue devant la voiture. Malgré l'empressement du conducteur pour serrer les freins, Mme Devoureix est tamponnée et projetée sur le côté. Elle souffre de contusions à l'épaule droite et à une jambe".

          Certains sont provoqués par l'imprudence des usagers, comme celui, rapporté par Le Matin charentais, le 21 décembre 1903 " Samedi soir, vers 7h1/2, MMelles L… et P… de Ruelle, montées dans le tram électrique d'Angoulême, s'étaient mises sur la plateforme arrière. Arrivées en face de l'habitation du colonel de la fonderie de Ruelle, les deux voyageuses voulurent descendre de voiture avant l'arrêt. Mal leur en prit car elles roulèrent l'une après l'autre sur la voie. Fort heureusement, MMelles L… et P…ont reçu des contusions sans gravité".

 

          D'autres encore sont dus à une erreur de conduite ou à du matériel défectueux : le 16 novembre 1914 la voiture assurant la desserte de Ruelle déraille dans la courbe près des Halles d'Angoulême, défonce le parapet et tombe sur une maison située sous le rempart. Parmi les nombreux morts, on découvre M. Pécher, préposé à l'enlèvement des boues et détritus dans les rues de Ruelle.

 

La fin du tramway

           Après la guerre, le service du tramway se dégrade: utilisant comme prétexte la perturbation du trafic par la fermeture prolongée des barrières au passage à niveau de Ruelle, la Compagnie supprime l'exploitation du tronçon entre le passage à niveau et le champ de foire, à compter du 1er janvier 1922. En septembre, le maire demande en vain la reprise de la desserte jusqu'au terminus.

La voie est à peine visible, le pavage est dégradé. Carte imprimée après l'arrêt de l'exploitation et avant la démolition des immeubles vétustes pour construire l'Hôtel des Postes (donc avant juillet 1927).
La voie est à peine visible, le pavage est dégradé. Carte imprimée après l'arrêt de l'exploitation et avant la démolition des immeubles vétustes pour construire l'Hôtel des Postes (donc avant juillet 1927).

 

          L'étape suivante est annoncée par une lettre du préfet du 24 mai 1923 : les 3 voitures assurant la desserte sont conservées, mais aux "heures creuses", de 8h45 à 11h et de 13h à 16h, au lieu d'assurer un départ toutes les 20 minutes à partir de Ruelle, l'intervalle passe à 30 minutes et la 3ème voiture fera une navette entre le 218 et la place Bouillaud, ce qui permet de desservir aux 15 minutes le quartier de la Madeleine ; en dehors de ces plages le service reste aux 20 minutes.

 

[Le 218 désigne le n°218 de la rue de Limoges, sur la commune d'Angoulême, à la limite de L'Isle d'Espagnac ; c'est là que depuis 1912, la voie du tramway coupe la ligne des chemins de fer économiques (le petit Mairat) Angoulême-Confolens par Saint-Angeau].

 

          La réponse du maire, le 9 juin 1923, montre à la fois son mécontentement et sa déception : "les modifications de la compagnie sont comme les précédentes, maladroites ; le public de Ruelle se refuse avec juste raison d'employer un système de locomotion où il se sent l'objet de mesures vexatoires; le temps de 30 minutes au lieu de 20 ne se justifiait que si la compagnie allait au terminus ; mais la diminution du nombre de voitures pour Ruelle, voitures s'arrêtant en dehors de la localité, aura pour résultat une nouvelle diminution du nombre des voyageurs; on prendra le train un peu plus".

          Le maire revient à la charge en envoyant une lettre au conseil municipal d'Angoulême, le 13 novembre 1925 : "le conseil municipal de Ruelle considérant que la population serait heureuse de voir les tramways comme par le passé conduire les voyageurs jusqu'au terminus, attendu que fils et poteaux sont une gêne pour les habitants sans en tirer avantage et que ce matériel devient dangereux par manque d'entretien, demande au conseil d'Angoulême d'étudier les deux propositions : inviter la compagnie à effectuer le parcours jusqu'au terminus ou enlever le matériel (avec préférence pour la 1ère solution)"

          Une lettre du préfet du 12 juillet 1926 accompagnée du rapport de "l'ingénieur en chef du contrôle des voies ferrées d'intérêt local et des tramways" concernant la reprise de l'exploitation du tronçon du passage à niveau au terminus ou la suppression de l'équipement électrique du tronçon, (délibération du 13 novembre 1925 à Ruelle et du 15 mars 1926 au conseil d'Angoulême) parvient à Ruelle avec une conclusion négative pour la reprise. Dans sa séance du 12 août 1926, le conseil de Ruelle, constatant que la ville d'Angoulême ne se reconnaît pas le droit de donner un avis sur l'exploitation de la ligne de tramways Angoulême-Ruelle, sollicite du préfet la remise en exploitation de la ligne jusqu'au terminus et réfute les arguments de l'Ingénieur en chef : les inconvénients du passage à niveau sont moins grands depuis 1922 que de 1901 à 1922, le nombre de trains journaliers ayant diminué.

          Le préfet qui, comme la Compagnie, ne souhaite vraisemblablement pas la reprise de la desserte, demande au maire de fournir des renseignements concernant le nombre de trains sur la ligne de Limoges. Les services de la préfecture sont-ils aussi mal renseignés ? Y a-t-il une différence significative entre prendre le train à la gare et monter dans le tram au dessus du passage à niveau ?

           Le 15 juin 1927, le conseil demande au préfet d'intervenir, pour faire enlever par la compagnie des tramways, du passage à niveau jusqu'au terminus, tant la voie inexploitée qui est dangereuse et complique l'entretien de la route nationale, de la rue Camille Pelletan et de la place, que les poteaux qui gênent la circulation et enlaidissent les trottoirs.

          Dans sa lettre du 17 mars 1928, le maire signale que des affaissements se sont produits sur la voie, entraînant des stagnations d'eau après chaque pluie et il invite la compagnie du tramway à enlever, dans les plus brefs délais, les 2 poteaux supports de la ligne aérienne qui gênent la circulation sur le Champ de Mars. Dans sa réponse, l'ingénieur en chef du contrôle des tramways électriques d'Angoulême propose le relevage de la voie ferrée et du pavage adjacent aux deux points de la traversée de Ruelle où des affaissements se sont produits mais il n'envisage pas d'enlever la voie ferrée car cela "signifierait qu'on abandonnerait tout espoir de reprise de l'exploitation jusqu'au terminus". Quel optimisme ! À moins qu'il ne s'agisse de langue de bois !

           En juin 1930, le maire renouvelle la demande d'enlèvement du matériel de la Compagnie des tramways, poteaux, fils et rails qui encombrent la voie publique.

           Lors de sa réunion du 5 mars 1932, le conseil de Ruelle constate que depuis plusieurs années le service des tramways laisse à désirer ; un conseiller affirme même qu'un service d'autobus serait d'utilité publique. En conséquence, le conseil municipal ruellois demande au maire d'Angoulême d'autoriser l'autobus de Ruelle à s'arrêter partout où il sera besoin, (le maire d'Angoulême vient de prendre un arrêté réglementant la circulation des autobus dans le périmètre de sa commune). Cette année-là, la desserte de la ligne est limitée de la place Bouillaud à la route de Limoges, et l'année suivante, l'exploitation du tramway cesse définitivement dans l'agglomération.

 

          La ville de Ruelle a essayé de mettre en place un service d'autobus, comme le montre la délibération du 25 février 1933 : une subvention de 100f est versée à M. Deloutre qui assure le service d'autobus Angoulême-Ruelle ; "cette subvention s'ajoute à celle de 500f pour avoir assuré le transport du passage à niveau à la mairie, devant la défaillance de la compagnie des tramways et avoir fait seul, pendant 15 jours, le transport des voyageurs entre Ruelle et Angoulême".

Quels vestiges du tramway reste-t-il dans le patrimoine de Ruelle ?

          On serait tenté de répondre qu'à priori il ne reste aucune trace. En effet, les rails ont disparu pour le bonheur des cyclistes; les poteaux, abris, fils d'alimentation électrique ont été enlevés; le nom de Terminus qui ne correspondait plus à rien depuis près d'un siècle a été remplacé par La Cour de Ruelle.

 

          Pourtant, il reste, fixés dans quelques murs, des vestiges métalliques du système d'accrochage des fils d'alimentation électrique comme au 443 de l'avenue Jean-Jaurès ou sur le mur de la pharmacie Thurin.


 

          Ou encore à l'angle de la rue Camille Pelletan et de la rue Jean-Maurice Poitevin (un vestige en haut à gauche, un autre près de la descente de gouttière).

 

Et rien d'autre ! Heureusement, il reste des cartes postales !

 

Sources

Archives municipales

- Registres des délibérations du conseil municipal.

 

Archives départementales

- Journaux : Le Matin charentais 14, 15 décembre 1900, 21 décembre 1903, 5 octobre 1904.

 

Études :

- Cahiers d'Histoire de Ruelle édités par l'Université Populaire.

- Nos Deux-Charentes en cartes postales anciennes, Angoulême 1900, Le tramway électrique, Christian Genet

 

Illustrations : cartes postales, photographies prises par A. et M. Herbreteau.

Avec la participation d'Elisabeth Vadrot et Annie Herbreteau